En lisant « Au-delà de la pénétration » de Martin Page, j’ai retrouvé ce que je constate régulièrement en tant que sexothérapeute : la pénétration est devenue une norme tellement évidente qu’on ne la questionne pas.
Pourquoi occupe-t-elle une place centrale, au point d’éclipser tant d’autres possibles ?
C’est une piste de réflexion que j’ouvre très souvent en cabinet…

« On peut aimer la pénétration tout en choisissant de l’interroger »
Entendons-nous bien, ce livre ne nous intime pas l’ordre de cesser de pénétrer ou d’être pénétré·e;
il nous invite plutôt à réfléchir à la place que cette pratique occupe dans notre sexualité, à mesurer ce qu’elle apporte et ce qu’elle « empêche » Une sorte de balance bénéfices/risques.
Entre survie de l’espèce
et société patriarcale.
A une époque où la mortalité infantile était élevée, avoir une descendance était la seule et unique priorité. Les religions ont ensuite renforcé l’idée que l’acte sexuel avait pour seul objectif la procréation.
Ajoutez à cela une société façonnée par les hommes, et la pénétration s’est imposée comme le centre du rapport sexuel, la validation d’un acte sexuel dit « complet », la source évidente et non questionnée du plaisir sexuel universel. Oui j’ai bien dit Universel, mais autant dire masculin, le féminin étant relégué aux oubliettes ou diabolisé.

Cette vision a façonné nos imaginaires, avec pour conséquences :
- L’absence de jouissance des femmes : les va-et-vient ne sont pas ce qu’il y a de plus adapté à notre anatomie et donc notre plaisir. Vous le saviez ? Moi j’ai dû attendre de me former à la sexothérapie pour le savoir !
- La dévalorisation de leur image : celles qui ne jouissent pas sont vite étiquetées « frigides » ou « compliquées », renforçant le mythe de la femme mystérieuse et insaisissable. Ce qui, soit dit en passant, est un prétexte tout trouvé pour éviter de se poser la question de comment donner du plaisir à sa partenaire ! « Non mais vous êtes compliquées quand même… »
- Une méconnaissance du corps féminin : cela perpétue l’idée que seul l’orgasme masculin est simple, accessible, «normal». Alors qu’en réalité, le plaisir féminin a juste été invisibilisé.
Quand la société écrit encore
notre scénario sexuel.
Alors oui, le clitoris est mis à l’honneur depuis quelques années, et il était temps !
Pour ceux, celles qui auraient loupé l’info…
Tadam le voilà !

Mais la manière dont on en parle n’est pas toujours libératrice. Quand ce n’est pas la morale ou la religion, ce sont l’éducation, les médias, le marketing qui finissent par formater nos ébats. Je m’explique : prenons cette phrase entendue mille fois :
«ma priorité, c’est le plaisir
de ma partenaire».
Sur le papier, cela peut partir d’une bonne intention. 🙏 Dans les faits, certains hommes se lancent dans une quête bienveillante ou expérimentale : donner un orgasme clitoridien !
Ils se félicitent de ne pas être obsédés par la pénétration, pensant ainsi être déconstruits.
Sauf que l’objectif n’est pas de remplacer l’orgasme « vaginal » (oui on sait qu’il n’existe pas en tant que tel) par l’orgasme clitoridien :
L’objectif selon moi c’est de sortir de cette logique où le sexe reste une performance.
La même mécanique est à l’œuvre avec la tendance marketée du squirt…
la femme fontaine si vous préférez.

Là encore, c’est à celui qui trouvera la bonne façon de « crocheter » ses doigts pour déclencher le phénomène. Tapez « femme fontaine » ou « squirt féminin » sur Google et vous lirez : « comment squirter ? comment bien faire squirter ?peut-on toutes squirter ? »
Ce qui était considéré comme une anomalie à la limite du dégoûtant est devenu tendance. Merci le porno Mainstream
Derrière ces nouvelles pratiques mises en avant, on retrouve souvent la même logique :
Faire, Réussir, Prouver, plutôt que partager, se connecter vraiment à l’autre.
Nous reproduisons sans conscience, un script sexuel écrit à l’avance par d’autres. On ne sait plus vraiment Qui, Quand et Pourquoi mais ce scénario serait censé s’adapter à tous les corps, tous les couples, toutes les particularités de chacun ?
⚠️😮 Mais comment a-t-on pu croire cela ?
Explorer d’autres voies
Quand j’évoque à mes client.es la possibilité de réduire ou de renoncer temporairement à la pénétration, (en général pour des questions de douleurs), i.elles sont démuni.es ! Et c’est là que je les aide à faire un pas de côté, quitter l’autoroute, certes très efficace pour arriver d’un point A à un point B mais où il n’y a aucune surprise, aucun nouveau paysage.
Eternellement le même décor, le même rythme, les mêmes sorties autorisées…
Je leur propose plutôt une nouvelle aventure, inventer leur sexualité.
La contrainte, loin d’être une limite, devient un espace de créativité.
Parfois, quand certains hommes sont difficiles à convaincre, je leur demande si ils
connaissent l’orgasme prostatique 😈
Bah oui il semble que là, la pénétration soit pourvoyeuse d’orgasme ! Elle pourrait ainsi retrouver toutes ses lettres de noblesse ! 😇

Et tout à coup, subitement, comme par magie, la pénétration devient beaucoup moins centrale pour eux !😄
Allez messieurs souriez, je vous taquine… les femmes aussi ont à déconstruire leur vision du plaisir masculin et de ce que serait « la virilité ». C’est un travail qui nous concerne tous.
Attention : il ne s’agit pas de créer de nouvelles injonctions avec en tête d’affiche le squirt ou l’orgasme prostatique ! L’idée est simplement d’observer ce qui relève du conditionnement, du patriarcat, des habitudes figées… et de voir comment s’en libérer. « Un peu de désobéissance serait bienvenue !«
Quand la machine ne “fonctionne plus”
« Ça marche mal, ce n’est pas la meilleure manière d’avoir du plaisir et pourtant ça reste la norme ! » Martin Page
Les conséquences sont désastreuses y compris pour les hommes : quand l’érection devient difficile, à cause de l’âge ou d’autres raisons, beaucoup se sentent frustrés, résignés, parfois inutiles, comme s’ils étaient, pour reprendre l’expression de l’auteur,
« bons pour la poubelle sexuelle ».
Le mot « impuissant » en dit long d’ailleurs : il signifie littéralement « privé de puissance ». Mais qui a décrété qu’un homme qui ne bande plus perdait toute sa puissance ?
Là encore, c’est une vision patriarcale qui enferme les hommes et fait perdurer la domination masculine. Et vous êtes nombreux à en souffrir. Je le vois aussi au cabinet. Il est temps de changer de paradigme.
Une clé pour transformer nos vies.
La sexualité est un sujet qui fait rire dans les repas entre amis, mais dans l’intimité des couples elle est souvent source de tensions ou de distance silencieuse.
Comme le suggère Martin Page, il est possible d’inventer, d’introduire autre chose, de la variété, de la liberté dans nos sexualités. La sexualité peut être une clé : une clé pour transformer sa vie, élargir ses possibles, se réinventer et réinventer ses liens avec les autres.
« Un jour nos livres et nos écrits renverseront la société. » Martin Page
Si cet article peut, ne serait-ce que souffler une légère brise sous vos draps, j’en serai heureuse.
Mon propos n’est pas de vous dire comment vivre votre sexualité, bien au contraire ! Je souhaite juste très modestement, vous inviter à vous demander pourquoi vous faites l’amour de telle ou telle façon ? Etes-vous pleinement satisfait.e ? Si oui continuez et kiffez.
Si vous sentez qu’il y a peut-etre d’autres voies à explorer et surtout des échanges à initier avec votre, vos partenaires pour y mettre davantage de plaisir, de complicité et de connexion alors venez on en parle !
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